Books Should Be Free Loyal Books Free Public Domain Audiobooks & eBook Downloads |
|
L'Orco By: George Sand (1804-1876) |
---|
![]()
L'ORCO
Nous étions, comme de coutume, réunis sous la treille. La soirée était
orageuse, l'air pesant et le ciel chargé de nuages noirs que
sillonnaient de fréquents éclairs. Nous gardions un silence
mélancolique. On eût dit que la tristesse de l'atmosphère avait gagné
nos coeurs, et nous nous sentions involontairement disposés aux
larmes. Beppa surtout paraissait livrée à de douloureuses pensées. En
vain l'abbé, qui s'effrayait des dispositions de l'assemblée, avait il
essayé, à plusieurs reprises et de toutes les manières, de ranimer la
gaieté, ordinairement si vive de notre amie. Ni questions, ni
taquineries, ni prières n'avaient pu la tirer de sa rêverie; es yeux
fixés au ciel, promenant au hasard ses doigts sur les cordes
frémissantes de sa guitare, elle semblait avoir perdu le souvenir de
ce qui se passait autour d'elle, et ne plus s'inquiéter d'autre chose
que des sons plaintifs qu'elle faisait rendre à son instrument et de
la course capricieuse des nuages. Le bon Panorio, rebuté par le
mauvais succès de ses tentatives, prit le parti de s'adresser à moi. «Allons! me dit il, cher Zorzi, essaie à ton tour, sur la belle
capricieuse, le pouvoir de ton amitié. Il existe entre vous deux une
sorte de sympathie magnétique, plus forte que tous mes raisonnements,
et le son de ta voix réussit à la tirer de ses distractions les plus
profondes. Cette sympathie magnétique dont tu me parles, répondis je, cher
abbé, vient de l'identité de nos sentiments. Nous avons souffert de la
même manière et pensé les mêmes choses, et nous nous connaissons
assez, elle et moi, pour savoir quel ordre d'idées nous rappellent les
circonstances extérieures. Je vous parie que je devine, non pas
l'objet, mais du moins la nature de sa rêverie.» Et me tournant vers Beppa: «Carissima, lui dis je doucement, à laquelle de nos soeurs penses tu? A la plus belle, me répondit elle sans se détourner, à la plus
fière, à la plus malheureuse. Quand est elle morte? repris je, m'intéressant déjà à celle qui
vivait dans le souvenir de ma noble amie, et désirant m'associer par
mes regrets à une destinée qui ne pouvait pas m'être étrangère. Elle est morte à la fin de l'hiver dernier, la nuit du bal masqué
qui s'est donné au palais Servilio. Elle avait résisté à bien des
chagrins, elle était sortie victorieuse de bien des dangers, elle
avait traversé, sans succomber, de terribles agonies, et elle est
morte tout d'un coup sans laisser de trace, comme si elle eût été
emportée par la foudre. Tout le monde ici l'a connue plus ou moins,
mais personne autant que moi, parce que personne ne l'a autant aimée
et qu'elle se faisait connaître selon qu'on l'aimait. Les autres ne
croient pas à sa mort, quoiqu'elle n'ait pas reparu depuis la nuit
dont je te parle. Ils disent qu'il lui est arrivé bien souvent de
disparaître ainsi pendant longtemps, et de revenir ensuite. Mais moi
je sais qu'elle ne reviendra plus et que son rôle est fini sur la
terre. Je voudrais en douter que je ne le pourrais pas; elle a pris
soin de me faire savoir la fatale vérité par celui là même qui a été
la cause de sa mort. Et quel malheur c'est là, mon Dieu! le plus grand
malheur de ces époques malheureuses! C'était une vie si belle que la
sienne! si belle et si pleine de contrastes, si mystérieuse, si
éclatante, si triste, si magnifique, si enthousiaste, si austère, si
voluptueuse, si complète en sa ressemblance avec toutes les choses
humaines! Non, aucune vie ni aucune mort n'ont été semblables à
celles là. Elle avait trouvé le moyen, dans ce siècle prosaïque, de
supprimer de son existence toutes les mesquines réalités, et de n'y
laisser que la poésie. Fidèle aux vieilles coutumes de l'aristocratie
nationale, elle ne se montrait qu'après la chute du jour, masquée,
mais sans jamais se faire suivre de personne. Il n'est pas un habitant
de la ville qui ne l'ait rencontrée errant sur les places ou dans les
rues, pas un qui n'ait aperçu sa gondole attachée sur quelque canal;
mais aucun ne l'a jamais vue en sortir ou y entrer... Continue reading book >>
|
eBook Downloads | |
---|---|
ePUB eBook • iBooks for iPhone and iPad • Nook • Sony Reader |
Kindle eBook • Mobi file format for Kindle |
Read eBook • Load eBook in browser |
Text File eBook • Computers • Windows • Mac |
Review this book |
---|