[La danse macabre historiée et augmentée de plusieurs nouveaux personnages et beaux dits] [Illustration: L'acteur est assis entouré de livres dans un cabinet de travail, et montre de la main une banderole portée par un ange et comportant ces mots: Hec pictura decus. pompam. luxumque relegat: Inque choris nostris ducere festa monet. ] ¶Lacteur O creature raisonnable Qui desires vie eternelle Tu as cy doctrine notable pour bien finer vie mortelle La dance macabre sappelle Que chascun a dancer aprent A homme et femme est naturelle Mort nespergne petit ne grant En ce mirouer chascun peut lire Qui li conuient ainsi danser Saige est cellui qui bien si mire Le mort le vif fait auancer Tu vois les plus grans commencer Car il nest nul que mort ne fiere Cest piteuse chose y penser Tout est forge dune matiere [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, le pape; 2. le mort, l'empereur.] ¶Le mort Vous qui viuez certainement Quoy quil tarde ainsi danseres Mais quant/ dieu le scet seulement Auisez: comme nous vous feres Dam pape. vous commenceres Comme le plus digne seigneur En ce point honnoure seres Au grant maistre est deu lonneur ¶Le pape Hee: fault il que la danse maine Le premier: qui suis dieu en terre Iay eu dignite souueraine En leglise comme saint pierre Et comme autre mort me vient querre Encor point mourir ne cuidasse Mais la mort a tous maine guerre Peu vault honneur qui si tost passe ¶Le mort Et vous le non pareil du monde Prince & seigneur grant emperiere Laisser vous fault la pomme ronde Armes/ ceptre/ timbre/ baniere Ie ne vous lairray pas derriere Vous ne pouez plus seignourir Ien maimne tout cest ma maniere Les filz adam fault tous mourir. ¶Lempereur Ie ne scay deuant qui iappelle De la mort: qui si me demaine Armer me fault de pic de pelle Et dung linceul/ ce mest grant peine Sur tous ay eu grandeur mondaine Et morir me fault pour tout gaige Quest ce de ce mortel demaine Les grans ne lont pas dauantaige [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, le cardinal; 2. le mort, le roi.] ¶Le mort Vous faictes lesbahy se semble Cardinal: sus legerement Suiuons les autres tous ensemble Rien ny vault esbahissement Vous aues vescu haultement Et en honneur a grant diuis Prenez en gre lesbatement En grant honneur se pert laduis ¶Le cardinal Iay bien cause de mesbahir Quant ie me voy de si pres pris La mort mest venue assaillir Plus ne vestiray vert ne gris Chapeau rouge: chape de pris Me fault laisser a grant destresse Ie ne lauoye pas apris Toute ioye fine en tristesse ¶Le mort Venez noble roy couronne Renomme de force & prouesse Iadis fustes enuironne De grans pompes de grant noblesse Mais maintenant toute haultesse Lesseres: vous nestes pas seul Peu aures de vostre richesse Le plus riche na qun linceul ¶Le roy Ie nay point apris a danser A danse & note si sauuaige Las on peult bien veoir & penser Que vault orgueil/ force/ lignage Mort destruit tout cest son vsage Aussi tost le grant que le mendre Qui moins se prise plus est sage En la fin fault deuenir cendre [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, le patriarche; 2. le mort, le connétable.] ¶Le mort Patriarche pour basse chiere Vous ne poues estre quite Vostre double croix quauez chiere Vng autre aura: cest equite Ne pensez plus a dignite Ia ne serez pape de romme Pour rendre compte estes cite Folle esperance decoit lomme ¶Le patriarche Ie voy bien que mondain honneur Ma deceu: pour dire le voir Mes ioyes a tourne en douleur Et que vault tant donneur auoir Trop hault monter nest pas scauoir Hauls estas gastent gens sans nombre. Mais peu le veulent parceuoir A hault monter le fais encombre ¶Le mort Cest de mon droit que ie vous maine A la dance gent connestable Le plus fort: comme charlemaigne Mort prent: cest chose veritable Rien ny vault chiere espouentable Ne forte armeure en cest assault Dun cop iabas le plus estable Rien nest darmes quant mort assault ¶Le connestable Iauoye encor intention Dassaillir chasteau: forteresse Et mener a subiection En acquerant honneur/ richesse Mais ie voy que toute prouesse Mort met abas: cest grant despit Tout lui est vng: doulceur rudesse Contre la mort na nul respit [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, l'archevêque; 2. le mort, le chevalier.] ¶Le mort Que vous tirez la teste arriere Archeuesque tirez vous pres Auez vous paour quon ne vous fiere Ne doubtez. vous venrez apres Nest pas tousiours la mort empres Tout homme & le suyt coste a coste Rendre conuient debtes & prestz Vne fois fault compter a loste ¶Larcheuesque Las ie ne scay ou regarder Tant suis par mort a grant destroit Ou fuiray ie pour moy aider Certes qui bien la congnoistroit Hors de raison iamais nistroit Plus ne gerray en chambre painte Mourir me conuient cest le droit Quant faire fault cest grant contrainte ¶Le mort Vous qui entre les grans barons Auez eu renom cheualier Oubliez trompettes. clarons Et me suiuez sans sommeiller Les dames soulies reueiller En faisant dancer longue piece A autre dance fault veiller Ce que lung fait lautre depiece ¶Le cheualier Or ay ie este auctorise En plusieurs faitz & bien fame Des grans & des petis prise Auec ce des dames ame Ne oncques ne fu diffame A la court de seigneur notable Mais a ce cop suis tout pasme Dessoubz le ciel na rien estable [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, l'évêque; 2. le mort, l'écuyer.] ¶Le mort Tantost naurez vaillant ce pic Des biens du monde: et de nature Euesque. de vous il est pic Non obstant vostre prelature Vostre fait gist en auanture De vos subietz fault rendre compte A chascun dieu fera droicture Nest pas asseur qui trop hault monte ¶Leuesque Le cueur ne me peult esiouir Des nouuelles que mort maporte Dieu vouldra de tout compte ouyr Cest ce que plus me desconforte Le monde aussi peu me conforte Qui tous a la fin desherite Il retient tout: nul rien nemporte Tout ce passe fors le merite ¶Le mort Auancez vous gent escuier Qui scauez de dancer les tours Lance porties et escu hier Et huy vous finerez vos iours Il nest rien qui ne praigne cours Dansez & pensez de suiuir Vous ne pouez auoir secours Il nest qui mort puisse fuyr ¶Lescuier Puis que mort me tient en ses las Au moins que ie puisse vng mot dire Adieu deduis: adieu soulas Adieu dames plus ne puis rire Pensez de lame qui desire Repos: ne vous chaille plus tant Du corps: qui tous les iours empire Tous fault mourir on ne scet quant [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, l'abbé; 2. le mort, le bailli.] ¶Le mort Abbe: venez tost vous fuyes Nayez ia la chiere esbahie Il conuient que la mort suiuez Combien que moult lauez haye Commandez a dieu labbaye Qui gros & gras vous a nourry Tost pourrires a peu daye Le plus gras est premier pourry ¶Labbe De cecy neusse point enuie Mais il conuient le pas passer Las or nay ie pas en ma vie Garde mon ordre sans casser Gardez vous de trop embrasser Vous qui viuez au demourant Se vous voulez bien trespasser On saduise tart en mourant ¶Le mort Baillif qui scauez quest iustice Et hault & bas: en mainte guise Pour gouuerner toute police Venez tost a ceste assise Ie vous adiourne de main mise Pour rendre compte de vos faitz Au grant iuge qui tout vng prise Vng chascun portera son fais ¶Le baillif He dieu: vecy dure iournee De ce cop pas ne me gardoye Or est la cause bien tournee Entre iuges honneur auoye Et mort fait raualler ma ioye Qui ma adiourne sans rappel Ie ny voy plus ne tour ne voye Contre la mort na point dappel [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, l'astrologue; 2. le mort, le bourgeois.] ¶Le mort Maistre pour vostre regarder En hault: ne pour vostre clergie Ne pouez la mort retarder Cy ne vault rien astrologie Toute la genealogie Dadam: qui fut le premier homme Mort prent. ce dit theologie Tous fault mourir pour vne pomme ¶Lastrologien Pour science: ne pour degrez Ne puis auoir prouision Car maintenant tous mes regretz Sont: mourir a confusion Pour finable conclusion Ie ne scay rien que plus descrire Ie pers cy toute aduision Qui vouldra bien mourir bien viue ¶Le mort Bourgois: hastez vous sans tarder Vous nauez auoir ne richesse Qui vous puisse de mort garder Se des biens dont eustes largesse Auez bien vse. cest sagesse Dautrui vient tout: a autrui passe Fol est qui damasser se blesse On ne scet pour qui on amasse ¶Le bourgois Grant mal me fait si tost laisser Rentes. maisons/ cens/ nourriture Mais paures. riches abaissier Tu fais mort: telle est ta nature. Sage nest pas la creature Damer trop les biens qui demeurent Au monde. et sont siens de droicture Ceulx qui plus ont. plus enuiz meurent [Illustration: De gauche à droite: 1. Le mort, le chanoine; 2. le mort, le marchand.] ¶Le mort Sire chanoine prebendez Plus naurez distribution Ne gros: ne vous y attendez Prenez cy consolation Pour toute retribution Mourir vous conuient sans demeure Ia ny aurez dilation La mort vient quon ne garde leure ¶Le chanoine Cecy guere ne me conforte Prebende suis en mainte eglise Or est la mort plus que moy forte Qui tout emmaine: cest sa guise Blanc surpelis: aumusse grise Me fault laisser: et a mort rendre Que vault gloire si tost bas mise A bien mourir doit chascun tendre ¶Le mort Marchant regardez par deca Plusieurs pays auez cherchie A pie: et a cheual de pieca Vous nen serez plus empesche Vecy vostre dernier marche Il conuient que par cy passez De tout soing serez despesche Tel couuoite qui a assez ¶Le marchant Iay este a mont et aual Pour marchander ou ie pouoie Par long temps: a pie: a cheual Mais maintenant pers toute ioye De tout mon pouoir acqueroye Or ay ie assez mort me contraint Bon fait aler moyenne voye Qui trop embrasse peu estraint [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, le chartreux; 2. le mort, le sergent.] ¶Le mort Ales marchant sans plus rester Ne faictes ia cy resistance Vous ny pouez rien conquester Vous aussi homme dastinence Chartreux prenez en pacience De plus viure nayez memoire Faictes vous valoir a la danse Sur tout homme mort a victoire ¶Le chartreux Ie suis au monde pieca mort Par quoy de viure ay moins enuie Ia soit que tout homme craint mort. Puis que la chair est assouuie Plaise a dieu que lame rauie Soit es cieulx apres mon trespas Cest tout neant de ceste vie Tel est huy qui demain nest pas ¶Le mort Sergent qui portes celle mace Il semble que vous rebellez Pour neant faictes la grimace Son vous greue si appellez Vous estes de mort appellez Qui lui rebelle il se decoit Les plus fors sont tost rauallez Il nest fort quaussi fort ne soit. ¶Le sergent Moy qui suis royal officier Comme mose la mort frapper Ie faisoye mon office hyer Et elle me vient huy happer Ie ne scay quelle part eschapper Ie suis pris deca & dela Malgre moy me laisse attrapper Enuiz meurt qui apris ne la [Illustration: De gauche à droite: 1. Le mort, le moine; 2. le mort, l'usurier, le pauvre homme recevant l'aumône de l'usurier.] ¶Le mort Ha maistre par la passerez Naiez ia soing de vous deffendre Plus hommes nespouenteres Apres moine sans plus attendre Ou penses vous si fault entendre Tantost aurez la bouche close Homme nest fors que vent & cendre Vie dhomme est moult peu de chose ¶Le moine Iamasse mieulx encore estre En cloistre & faire mon seruice Cest vng lieu deuot & bel estre Or ay ie comme fol et nice Ou temps passe commis maint vice De quoy nay fait penitance Souffisant/ dieu me soit propice Chacun nest pas ioyeux qui dance ¶Le mort Vsuriers. de sens desrigles Venez tost. et me regardez Dusure estes tant aueugles Que dargent gaigner tout ardez Mais vous en serez bien lardez Car ce dieu qui est merueilleux Na pitie de vous tout perdez A tout perdre est cop perilleux ¶Lusurier Me conuient il si tost mourir Ce mest grant peine et greuance Et ne me pourroit secourir Mon or mon argent ma cheuance Ie vois mourir la mort mauance Mais il men desplaist somme toute Quest ce de male acoustumance Tel a beaux yeulx qui ne voit goute ¶Le poure homme Vsure est tant mauuais peche Come chascun dit: & racompte Et cest homme qui approche Se sent de la mort: nen tient conte Mesme lar-gent: quen ma main compte: Encor a vsu-re me preste Il deura de retour au compte: Nest pas quite qui doit de reste [Illustration: De gauche à droite: 1. Le mort, le médecin; 2. Le mort, l'amoureux.] ¶Le mort Medecin a tout vostre orine Voyez vous icy quamender Iadis sceutes de medecine Assez pour pouoir commander Or vous vient la mort demander Comme autre vous conuient mourir Vous ny pouez contremander Bon mire est qui se scet guerir ¶Le medecin Long temps a quen lart de phisique Iay mis toute mon estudie Iauoys science et pratique Pour guerir mainte maladie Ie ne scay que ie contredie Plus ny vault herbe ne racine Nautre remede quoy quon die Contre la mort na medecine ¶Le mort Gentil amoureux gent et frique Qui vous cuidez de grant valeur Vous estes prins la mort vous pique Le monde lairez a douleur Trop lauez ame: cest foleur Et a mourir peu regarde. Ia tost vous changeres couleur Beaute nest que ymage farde ¶Lamoureux Helas: or ny a il secours Contre la mort adieu amourettes Moult tost va ieunesse a decours Adieu chapeaux boucques florettes Adieu amans et pucellettes Souuienne vous de moy souuent Et vous mires se sages estes Petite pluye abat grant vent [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, l'avocat; 2. le mort, le ménestrier.] ¶Le mort Aduocat sans long proces faire Venez vostre cause plaidier Bien auez sceu les gens attraire De pieca non pas duy ne dyer Conseil si ne vous peut aider Au grant iuge vous fault venir Sauoir le deuez sans cuider Bon fait iustice preuenir ¶Laduocat Cest bien droit que raison se face Ne ie ny scay mettre deffence Contre mort na respit ne grace Nul nappelle de sa sentence Iay eu de lautruy quant ie y pense Dequoy ie doubte estre repris A craindre est le iour de vengeance Dieu rendra tout a iuste pris ¶Le mort Menestrier qui dances et notes Scauez: et auez beau maintien Pour faire esiouir sos et sotes Quen dictes vous: alons nous bien Monstrer vous fault puis que vous tien Aux autres cy vng tour de dance Le contredire ny vault rien Maistre doit monstrer sa science ¶Le menestrier De danser ainsi neusse cure Certes tresenuiz ie m'en mesle Car de mort nest peine plus dure Iay mis soubz le banc ma vielle Plus ne corneray sauterelle Nautre danse. mort men retient Il me fault obeir a elle Tel danse a qui au cueur nen tient [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, le curé; 2. le mort, le laboureur.] ¶Le mort Passes cure sans plus songer Ie sens questes abandonne Le vif/ le mort solies menger Mais vous seres aux vers donne Vous fustes iadis ordonne Miroer dautruy et exemplaire De voz fais seres guerdonne A toute paine est deu salaire ¶Le cure Vueille ou non il fault que me rende Il nest homme que mort nassaille De mes parroissiens offrende Nauray iames: ne funeraille Deuant le iuge fault que ie aille Rendre compte las douloureux Or ay ie grant paour que ne faille Qui dieu quitte bien est eureux ¶Le mort Laboureur qui en soing & peine Auez vescu tout vostre temps Morir fault cest chose certaine Reculler ny vault ne contemns De mort deues estre contens Car de grant soussi vous deliure Approchez vous ie vous attens Fol est qui cuide tousiours viure ¶Le laboureur La mort ay souhaitte souuent Mais voulentiers ie la fuisse Iamasse mieulx fist pluye ou vent Estre es vignes ou ie fouisse Encor plus grant plaisir y prisse Car ie pers de paour tous propos Or nest il qui de ce pas ysse Au monde na point de repos [Illustration: De gauche à droite: 1. le mort, le cordelier; 2. le mort, l'enfant au berceau.] ¶Le mort Faictes voye vous auez tort Laboureur apres cordelier Souuent auez presche de mort Si vous deuez moins merueiller Ia ne sen fault esmoy bailler Il nest si fort que mort nareste Si fait bon a mourir veiller A toute heure la mort est preste ¶Le cordelier Quest ce que de viure en ce monde Nul homme a seurte ny demeure Toute vanite y habunde Puis vient la mort qua tous court seure Mendicite point ne masseure Des meffaitz fault payer lamende. En petit dheure dieu labeure Sage est le pecheur qui samende ¶Le mort Petit enfant naguere ne Au monde auras peu de plaisance A la danse seras mene Comme autre: car mort a puissance Sur tous: du iour de sa naissance Conuient chascun a mort offrir: Fol est qui nen a congnoissance Qui plus vit plus a a souffrir ¶Lenfant A: a: a: ie ne scay parler Enfant suis: iay la langue mue Hyer nasquis huy men fault aler Ie ne fais quentree & yssue Rien nay meffait mes de paour sue Prendre en gre me fault cest le mieulx Lordonnance dieu ne se mue Aussi tost meurt ieune que vieux [Illustration: De gauche à droite: 1. Le mort, le clerc; 2. le mort, l'ermite, le mort.] ¶Le mort Cuidez vous de mort eschapper Clerc esperdu pour reculer Il ne sen fault ia defripper Tel cuide souuent hault aller Quon voit acop tost raualler Prenez en gre allons ensemble Car rien ny vault le rebeller Dieu punist tout quant bon lui semble ¶Le clerc Fault il qun ieune clerc seruant Qui en seruice prent plaisir Pour cuider venir en auant Meure si tost: cest desplaisir Ie suis quitte de plus choisir Autre estat: il fault quansi danse La mort ma pris a son loisir Moult remaint de ce que fol pense ¶Le mort Clerc: point ne fault faire refus De danser: faicte vous valoir Vous nestes pas seul: leues sus Pourtant moins vous en doit chaloir Venez apres cest mon vouloir Homme nourry en hermitage Ia ne vous en conuient doloir Vie nest pas seur heritage ¶Lermite Pour vie dure ou solitaire Mort ne donne de viure espace Chascun le voit si sen fault taire Or requier dieu qun don me face Cest que tous mes peches efface Bien suis content de tous ses biens Desquelz iay vse de sa grace Qui na suffisance il na riens ¶Le mort Cest bien dit ainsi doit on dire Il nest qui soit de mort deliure qui mal Vit il aura du pire si pense chascun de bien viure dieu pesera tout a la liure bon y fait penser soir et main Meilleur science na en liure Il nest qui ait point de demain [Illustration: Le mort est couché par terre sur un linceul, une couronne posée à côté de sa tête. L'acteur assis à côté de ses livres montre de la main une banderole portée par l'ange avec le texte suivant: Mortales dominus cunctos in luce creauit. Vt capiant meritis gaudia summa poli. Felix ille quidem qui mentem iugiter illuc. Dirigit: atque vigil noxia queque cauet. Nec tamen infelix: sceleris quem penitet acti. Quique suum facinus plangere sepe solet. Sed viuunt homines/ tanquam mors nulla sequatur. Et velut infernus fabula vana foret. Cum doceat sensus viuentes morte resolui. Atque herebi penas pagina sacra probet. Quas qui non metuit infelix prorsus & amens. Viuit: & extinctus senciet ille rogum Sic igitur cuncti sapientes viuere certent. Vt nichil inferni sit metuenda palus ] Vous qui en ceste pourtraicture Veez dancer estaz diuers Pensez que humaine nature Ce nest fors que viande a vers Ie le monstre: qui gis en vers Si ay ie este roy couronnez Telz serez vous bons & peruers Tous estas: sont a vers donnes ¶Lacteur Rien nest domme qui bien y pense Cest tout vent: chose transitoire Chascun le voit: par ceste danse Pource vous qui veez listoire Retenez la bien en memoire Car homme & femme elle amonneste Dauoir de paradis la gloire Eureux est qui es cieulx fait feste Bon y fait penser soir & main Le penser en est prouffitable Tel est huy: qui mourra demain Car il nest rien plus veritable Que de mourir: ne moins estable Que vie domme. on laparcoit A leul pour quoy nest pas fable Fol ne croit iusques il recoit Mais aucuns sont a qui nen chault Comme sil ne fust paradis Ne enfer. helas il auront chault Les liures que firent iadis Les sains: le monstrent en beaux dis Acquitez vous qui cy passes Et faictes des biens: plus nen dis Bien fait vault moult es trespasses [Les trois morts et trois vifs ensemble.] ¶Lermite Ouure tes yeux creature chetiue Vien veoir les fais de la mort exessiue De qui iay eu en ce lieu vision Pensee nest si trescontemplatiue que dauoir en vne heure hastiue Vng tel regard neust admiration de trois corps mors mest lapparition Venue yci auecques leurs suaires Pareillement leurs terribles viaires deffigures & leurs corps descouuers les trous des yeux et du nes ouuers les os tous secz/ iambes/ bras/ pieds & mains Tous demengies & partuises de vers cest le tribut que mort doit aux humains terrible mort sus tous autres terribles on te doit bien par tes euures horribles dire & clamer puis que par ta morsure et par assaulx soudains imperceptibles par coups mortelz diuers irremissibles Telle tu fais humaine creature de tes euures ay veu la pourtraicture Tant diuerse tant cruelle et hideuse Deffiguree/ horrible/ merueilleuse deuant mes yeux en ce poure hermitage qui mont trouble tellement le corage que plus ne peut de tel euure congnoistre bien doit penser a la mort qui est sage car en la fin il nous conuient telz estre Or ne scet on si ces trois autreffois ont este ducs/ barons/ contes ou roys papes abbes cardinaulx ou chanoines ne qui estoit le plus noble des trois silz ont este bossus hommes ou drois silz ont este preuosts ou capitaines fors quilz ont eu tous trois faces humaines qui ont este en la terre ammurees La ou les vers les ont deffigurees Si quil nya plus rien que lossement Qui est a tous grant esbahissement et est bien fol a qui point nen souuient Grans et petis vniuersellement Vne fois telz estre nous conuient De lautre part sont venus vis a vis sur iii cheuaux iii biaux homes tous vis mais en voyant ceste chose admirable Il a semble quilz ont este rauis Trop long seroit a conter le diuis des trois viuens piteux & lamentable celui neut deux qui ne fust doubtable de veoir les mors & non pas sans raison car quiconque veoit feu en la maison de son voisin prochain mettre & getter de la sienne par cause doit doubter dont les viuens que les mors aperceurent merueille nest si de fort sespouenter a celle heure cause raisonnable eurent les mors aux vis les vis au mors parlerent & aux viuans les iii mors reuellerent de mort les grans & terribles assaulx et tellement les viuens espoenterent que a bien petit que tous ne trebucherent a la terre de dessus leurs cheuaulx lung laissa chiens & lautre ses oyseaux en requerant a dieu grace & mercy que requerir nous lui deuons aussi en lui priant par sa saincte puissance quil nous donne faire vraye penitance si que au monde que nous sommes mortelz nous facons tant que ayons la ioyssance apres la mort des regnes immortelz ¶Le premier mort Se nous vous aportons nouuelles Qui ne soient ne bonnes ne belles A plaisance ou a desplaisance Prendre vous fault en pacience Car ne peut estre autrement Beaux amis: tout premierement Non obstant quelque richesse Puissance/ honneur/ force ou ieunesse Nous vous denoncons tout de voir Qui vous conuient mort receuoir Vne mort las: si douloureuse Si amere: si angoisseuse Que les mors qui en sont deliure Ne vouldroient iames reuiure Pour morir encor de tel mort Et apres quant vous seres mort Tout ainsi que poures truans Vous seres hydeux et puans Des nostres/ et de noz liurees Et voz ames seront liurees Ie nen dis plus mais cest du pire Il me souffist asses de dire De voz meschans corps la misere Qui ne sont pas dautre matiere Certainement ne que nous sommes Na guiere estions puissans hommes Or sommes telz comme voyes Se vous voules si pouruoyes Et bien y deuez pourueoir Quant en nous vous pouez veoir Comme de vous il aduiendra Et quel loyer mort vous rendra Car voz corps qui sont plains dordure Aller fera a porriture Telz comme vous vng temps nous fumes Telz seres vous comme nous sommes ¶Le second mort Pouruoyez y se vous voules Autrement que vous ne soules Car certes la mort vous espie Pour vous oster des corps la vie Plus briefuement que ne cuides Qui estes si oultrecuides Que pour vng peu de ioye vainne Vng peu de plaisance mondaine Qui est de si courte duree Tost venue: plus tost alee Voulez perdre la ioye fine De paradis qui point ne fine Et qui pis est damnes seres Aultrement nen eschaperes Mais se sera sans deliurance Comme auez vous a tel plaisance Dictes nous: meschans orguilleux En ce monde si perilleux Ou il nya que diuisions Et diuerses tribulations Puis guerre. puis mortalite Tousiours nouuelle aduersite Reuient auant que lautre faille Vous ne scauez homme sans faille Tant soit puissant: veille ou non vueille Qui ne seuffre. qui ne se deule Ailleurs doncques repos queres Car cy point ne la trouueres Repos aures en paradis Si croire vous voules es dis Des sages qui conseillent faire Ce que faire est necessaire Pour laquerir et pour lauoir Rien mieulx nully ne peut auoir Faictes des bien plus que poues Autre chose nemporteres [Illustration: Dans un décor champêtre, on voit de gauche à droite l'ermite assis dans sa hutte, et trois morts marchant vers la droite. Une banderole sort de la bouche de l'ermite avec ces mots: Omnium terribilium mors] ¶Le tiers mort O folle gent mal aduisee Que ie voy ainsi desguisee De diuers habis: et de robes Et dautres choses que tu robes Tant puante charongne a vers Et prens de tort & de trauers Ne il ne te chault dou te vienne Mais que ton estat se maintiegne Quant ie reuoy tes faulx delits De vin/ de viande/ de lis Les grans exces. les grans oultrages Dont ceulx qui font les labourages Aux champs. & pour toy se trauaillent Tous nus: & de fain crient & baillent Quant ie voy tel gouuernement Ie doubte que soudainement Dieu telle vengeance nen face Que vous nayez temps ne espace Seulement de crier mercy Cuidez vous tousiours regner cy Folz. meschans de male heure nez Qui en ce point vous demenez Nenny nenny vous y mourrez Faictes du pis que vous pourres Lors aures pardurable vie Bonne ou male: nen doubtez mie Dieu est iuste il payera Chascun selon ce quil fera Faictes des biens nattendez pas Que ceulx dapres vostre trespas Pour vous en facent quamez chier Qui ne vous vouldroient aprocher En la terre vous porteront Et tost apres vous oublieront Et telz cuidez vos bons amis Qui sont vos plus grans ennemis [Illustration: Trois beaux hommes à cheval, regardant vers la gauche (sur la page de droite, en face de l'illustration montrant l'ermite et les trois morts).] ¶Le premier vif O saincte croix par ta puissance Dont ie voy la remembrance Garde mon corps & ne consens Que ie perde au iourdui le sens Pour ceste gent hideuse et morte Qui telz nouuelles nous aporte Nouuelles dures et peruerses Las: entre les choses diuerses Touchant nostre fragilite De quoy nous ont dit verite Mon poure cueur de paour tremble Quant trois mors ainsi vont ensemble Deffigures/ hydeux/ diuers Tous pourris & menges de vers Le premier dit: bien men sonuient Que mort endurer nous conuient A grant angoisse et grant douleur Dont il me fist muer couleur Et des ames dist vne chose Que declarer ne veult ne nose Ie croy cest de leur damnement En enfer pardurablement Telz nouuelles ne sont pas bonnes Helas nous chetiues personnes A quoy nous fist oncques dieu naistre En ce meschant monde pour estre Si tost liurez a tel ordure De ma vie nauray plus cure Quant ie voy que les gens qui viuent Tant de maleurte ensuiuent Que ie prise trop mieulx asses Le poure estat des trespasses Car tousiours sans fin durera Ou cellui des vifs finera Et en lestat qui tousiours dure Chascun viure doit mettre cure ¶Le second vif Est ce doncques a bon essiant Que la mort nous va espiant Et qui nous fault ainsi mourir Nest il homme qui secourir En puist. pour or ne pour argent Helas: conuient il ieune gent A tel horriblete venir Oncques ne men peut souuenir Mais ie voy bien que cest acertes Ie voy les enseignes appertes De mort passerons les destrois Et deuenrons comme ces trois Cest la fin de nostre besongne Helas helas. meschant charongne Mes que tu faces tes plaisirs Tes volentes tes faux desirs Il ne te chault du remenant Or veons nous bien maintenant Que par toy nous sommes deceu Qui iusques a cy te auons creu Et de nos ames peu te chault Se elles ont ou froit ou chault Fy: charongne qui rien ne vault Tu aimes mieulx les grans cheuaulx Les beaux habits si peu durables Et telles choses corrumpables Pour toy meschant corps & rebelle Que tu ne fais vne ame belle Et si sces bien que tu mourras Et en la terre pourriras Ou lame pardurablement En ioye viura: ou en tourment Pensons doncques si bien finer Que en ioye puissons finer Bon y fait penser quant on peut Souuent on ne peut quant on veult ¶Le tiers vif Certes cest bien dit mais au fort Il nya point de desconfort Tous nous conuient passer ce pas Et croy que dieu ne nous hait pas Mesbeaux seigneurs & beaux amis Quant ces troys mors nous a transmis Qui donne nous ont congnoissance De la mort & de la meschance Qui nous vient finer nostre ioye Helas iamais ie ne cudoye Que ce temps cy nous deust faillir Ne que mort osast assaillir Telz gentilz gens comme nous sommes Mais ie voy bien que riches hommes Sont telz & de nulle vallue Ne plus ne moins que gent menue Nen parlons plus cest tout neant Maintenant ie suis cler voyant Que la ioye du monde est brefue Et la fin delle point ne griefue En enfer est horrible peine En paradis a ioye plaine Sur toute ioye delectable Et lune & lautre est pardurable Or ensuiuons ie vous emprie Desormais la meilleur partie Fol est qui choisist & depart Quant il eslist la pire part Deux voies auons deuant nos yeulx Nous qui viuons ieunes & vieux Vne a ioye. et repos maine Lautre a tourment & a peine Pour ioye et repos auoir Bien fault faire doit on scauoir Qui mal fait & ne se repent Il aura peine & tourment Las: & pour quoy prens tu si grant plaisir Homme abuse plain de presumption en ce faulx monde. ou na que desplaisir Enuie/ orgueil/ guerre et discension Bien maleureuse est ton affection Que pense tu: as tu plus grant enuie de viure en doubte en ceste courte vie qui les mondains a la mort denfer maine cest bone chose de viure en vie certaine Las tu sces bien: si tu nes insensible Que cest chose forte. voire impossible De auoir sa ius ton aise entierement Et apres mort la sus pareillement Helas: pourtant change condition Et te rauise. ou tu es autrement Homme deffait et a perdition Lequel veux tu ou mort ou vie choisir Choisir des deux tu as discretion Ayme tu mieulx de ton corps le desir Pour ton ame mettre a damnation Que viure vng peu en tribulation Et que apres mort ton ame soit rauie En gloire es cieulx: qui de nul deseruie Estre ne peut en ceste vie humaine Si ne lesse terre: auoir et demaine Et pere: & mere: & tout sil est possible et viure en peine. et en labeur terrible en seruant dieu tousiours paciemment Cest le chemin qui conduit seurement Apres trespas lomme a saluation et qui va autrement: il va a damnement Homme deffait et a perdition Cuide tu cy tousiours auoir loisir Dauoir pardon sans satisfaction et toute nuyt en blanc lit mol gesir Puis a ce iour sans operation Passer le temps en delectation tant que du tout la char soit assouie Pense tu point quil faille quon deuie et que prengne fin puissance mondaine helas oy: car mort viendra soudaine vne heure a toy auec son dart horible Si tresacop comme chose inuisible Que pas nauras loisir aucunement De dire a dieu: peccaui seulement Ainsi mourras tost sans contriction dont tu seras par diuin iugement Homme deffait et a perdition Homme en peril saches certainement que se tu nas autre vouloir brefment De tamender: nautre deuotion Tu te verras vng iour subitement Homme deffait et a perdition Arte noua pressos si cernis mente libellos Ingenium tociens exuperabit opus nullus adhuc potuit huius contingere summum ars modo plura nequit: ars dedit omne suum Vir fuit istud opus quod conditor indicat huius Cy finist la dance macabre historiee et augmentee de plusieurs nouueaux personnages et beaux dits. Et les trois mors & trois vifs ensemble nouuellement ainsi composee et imprimee a paris ---------------------- NOTES DU TRANSCRIPTEUR Les lettres abrégées par signes conventionnels ont été restituées sans mention particulière (exemple: homme au lieu de hõme). On a tenté de se rapprocher le plus possible du texte de l'original imprimé en retirant les nombreuses altérations manuscrites ayant été effectuées sur le document (ponctuation, accents, cédilles, lettres ajoutées ou grattées, etc.). Néanmoins on n'a pu déterminer avec certitude le texte initial des vers suivants: - Qui li conuient ainsi danser "Qui li" est hypothétique (altéré en "Quil luy") - Reculler ny vault ne contemns "contemns" est hypothétique (altéré en "contemds") - Qui plus vit plus a a souffrir le 's' est manuscrit dans "a souffrir": l'original pourrait être "assouffrir" - Cest tout vent: chose transitoire le 'e' manuscrit dans "transitoire" corrige peut-être une erreur d'impression On a apporté les corrections suivantes: - "danser" au lieu de "dansre" (point apris a danser) - "tant" au lieu de "taut" (ne vous chaille plus tant) - "toute" au lieu de "route" (Sur toute ioye delectable) Les titres des deux parties et les descriptions d'illustrations entre crochets ne figurent pas dans l'original. --- Provided by LoyalBooks.com ---